L’affaire Landru, un procès-spectacle qui a défrayé la chronique, une affaire aux échos culturels multiples


Sarra Khaled

Le 7 novembre 1921 démarrait le procès-fleuve de Henri Désiré Landru (1869-1922), accusé et condamné à mort pour de nombreuses escroqueries, arnaques sentimentales et meurtres d’une dizaine de femmes perpétrés entre 1914 et 1919. Marié, père de quatre enfants, Landru, d’extraction modeste mais néanmoins cultivé, va connaître des problèmes financiers qui le conduiront à créer de fausses entreprises pour arnaquer des clients puis, condamné à plusieurs reprises et menacé de bagne en Guyane, il va profiter du contexte de la Première Guerre Mondiale pour séduire des femmes de différentes conditions sociales, esseulées et isolées, attirées par des annonces matrimoniales, pour les escroquer et les assassiner. Se faisant passer pour un veuf prospère, son mode opératoire consiste à promettre le mariage à ces femmes désespérées, les inviter à Vernouillet puis à Gambais dans les Yvelines, dans une villa isolée pour les assassiner et profiter de leur fortune ‒ ou de leurs modestes économies. Au total, plus de deux-cent-quatre-vingt-trois victimes ont été dénombrées. Arrêté le jour de son cinquantième anniversaire, en avril 1919, il niera jusqu’au jour de son exécution, sa responsabilité, malgré les restes de corps calcinés trouvés dans sa cuisine de Gambais. Il a été le premier tueur en série français et surnommé le « Barbe Bleue de Gambais », en référence à cette ville où il séjournait avec ses victimes pour qui il achetait un billet de train en « aller-simple ».

Si Landru a été diagnostiqué par les psychiatres qui ont suivi son procès comme souffrant d’une psychose latente et d’une schizophrénie mortifère, cela ne l’a pas empêché de fasciner l’opinion publique et son procès à grand spectacle, qui s’ouvre deux ans après l’instruction, il a littéralement passionné la société de son temps. Aristocrates, artistes, journalistes, presse étrangère ont été attirés par ce criminel au regard exalté, à la barbe drue, à l’humour et au sens de le répartie charmeurs. Des répliques, rapportées par les journaux de l’époque, feront rire une audience hilare et marqueront d’ailleurs les annales :

Vous parlez toujours de ma tête, Monsieur l’avocat général.
Je regrette de n’en avoir pas plusieurs à vous offrir !

Si les femmes que j’ai connues ont quelque chose à me reprocher, elles n’ont qu’à déposer plainte!

Pour autant, l’humour de ce Don Juan devenu Barbe-Bleue, d’une sérénité déconcertante, ne lui nuit pas, et l’audace, le cynisme des réponses de l’accusé engendrent une sympathie et une fascination populaire pour ce dernier1. La presse de l’époque rendra compte de l’engouement pour ce procès hors-normes : dès le 04 novembre 1921, l’Ouest-Eclair détaille l’organisation exceptionnelle du procès et son numéro du 24 novembre 1921 rapporte mot pour mot le procès qui se déroule au Palais de Justice de Versailles. Ce procès-feuilleton fera également la une du Petit Journal Illustré du 13 et du 20 novembre 1921 ainsi que l’objet de nombreuses pages de journaux de l’époque jusqu’à son exécution en avril 19222. Colette, alors chroniqueuse judiciaire, sera attentive aux réactions du public dans un article paru dans Le Matin du 08 novembre 1921 : Une femme, tête nue, derrière moi, chuchote : « Il a vraiment l’air d’un monsieur ». Quel éloge ! Un journaliste affirme que Landru a « une barbe de préparateur en pharmacie ». Un dessinateur dit : « Il est bien convenable, on jurerait un chef de rayon à la soie » .

Personnalité insaisissable, parfois jugée agaçante par son absence de remords et par le goût d’inachevé que laisse son procès caractérisé par l’absence d’indices l’accablant de manière tranchante, Landru va littéralement entrer dans l’Histoire, « Au Panthéon du crime3 » et devenir une légende qui inspirera de nombreuses œuvres. Si le nombre important d’œuvres dramatiques (Landru et fantaisies de Christian Siméon, 2003, Landru de Laurent Ruquier 2005), cinématographiques (Landru de Christian Chabrol, 1963, de Juan José Gurrola 1973, Désiré-Landru, de Pierre Boutron, 2005) de chansons (Les femmes de Landru, Louis Boucot 1921, Landru, Charles Trenet, 1963) ou de bandes dessinées (Landru de Biélo et Novi, 1982, Henri Désiré Landru de Christophe Chabouté, 2006) s’inspirant de l’affaire ou se référant de manière directe au meurtrier est un indice parlant des frontières poreuses qui existent entre faits divers, aussi morbides ou glaçants soient-ils, Histoire et culture. Ces nombreux échos de l’affaire dans les arts sont davantage un indice de la mythification de l’assassin, devenu un monstre populaire fascinant.


Florilège de références à Landru
dans la chanson française

Et quand Landru, ce vieux salaud, Coupa sa femme en p’tits morceaux
Elle lui d’manda dans un sanglot Je t’en prie ne me scie pas les os
Il répondit : « Je fais c’que je veux  Car je suis le roi du tango !
Et je le danse beaucoup mieux Que Rudolf(e) Valentino.
(Renaud, Le tango de Massy-Palaiseau, 1979)

Tu leur parlais si bien lorsque tu leur disais
Venez ma douce amie, allons vite à Gambais
J’ai une petite villa, rien que monter descendre
Hélas elles montaient et descendaient en cendres
Landru, Landru, de quel bois te chauffes-tu
Ton four fait d’la fumée
Sous la verte ramée
Landru, Landru, un ramoneur est v’nu
Il a dans ta ch’minée trouvé un nez
Calciné
Pendant l’verdict, pas un mot, pas un tic
Énigmatique, tu restas hiératique
Landru, Landru en jaquette en bottines
Y a un’ veuve qui t’a eu,
La Guillotine
Charles Trenet, Landru, 1963)

Vive la barbe et les barbus
Allons au bois monsieur Landru
Envers vous ma confiance est grande
Envers vous ma confiance est grande
(Juliette, Il n’est pas de plaisir superflu, 2002)

1 Le titre de la récente biographie de Landru, rédigée par l’historien Bruno Filigni et parue aux Editions du Rocher en 2020, Landru, L’élégance assassine, est fidèle à l’image de Landru dans l’imaginaire collectif de l’époque.
2 Voir à ce propos l’article de Léa Loubet « Le fait divers de Gallica : le procès Landru », datant du mois de mai 2017, disponible sur Gallica https://gallica.bnf.fr/blog/19052017/les-faits-divers-de-gallica-le-proces-landru .
3 Gérard A. Jaeger Landru, bourreau des cœurs, Paris, Archipel, 2005.